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COLÈRE: Le Sénégal dans un péril d’une « instabilité chronique, voire irréversible »...

Lundi 26 Février 2024

Le président sénégalais Macky Sall a annoncé samedi le report de la présidentielle, faisant craindre un embrasement du pays


Face à un pays qu’il a mis en ébullition, le couvercle du président sénégalais Macky Sall tiendra-t-il ? Ce lundi matin, le chef d’Etat a fait couper l’Internet mobile à Dakar et les manifestants qui se sont rassemblés devant l’Assemblée nationale ont été dispersés à l’aide de gaz lacrymogène. Mais, deux jours après l’annonce de Macky Sall du report sine die de l’élection présidentielle, la colère ne cesse de s’intensifier au Sénégal.

« Par rapport à d’autres pays alentour, notamment du Sahel, le Sénégal n’avait jusqu’ici jamais connu de report de la présidentielle ou de coup d’Etat militaire depuis son indépendance » en 1960, explique Michel Galy, politologue et spécialiste de l’Afrique subsaharienne au Centre d’études sur les conflits. Jusqu’ici, le pays était donc considéré comme un « modèle de stabilité », note Caroline Roussy, directrice de recherche à l’Iris (institut de relations internationales et stratégiques) et responsable du programme Afrique/s. C’est donc une grave crise politique pour Dakar, d’autant que la décision de Macky Sall, qui a promis qu’il ne se représenterait pas à la fin de son second mandat, a pris le pays par surprise.

Une « instabilité chronique, voire irréversible »

« La vie politique du Sénégal n’a jamais été long fleuve tranquille, elle a connu des soubresauts comme en mai 1968 par exemple. Mais, par rapport à ses voisins, c’est un pays plutôt stable, analyse Caroline Roussy. Cette stabilité est remise en cause par cette décision qui pourrait plonger le pays dans une instabilité chronique, voire irréversible. » C’est pourtant justement pour éviter des « troubles politiques graves » que Macky Sall a, selon ses dires, pris cette décision.

En mars 2021, suite à l’arrestation de la figure de l’opposition Ousmane Sonko, et en juin 2023, après sa condamnation pour « corruption de la jeunesse », le pays a été secoué par de violentes manifestations qui ont fait des dizaines de morts. Toutefois, « c’est la première fois que l’on parle de "coup d’Etat constitutionnel" ou de "coup d’Etat civil" », remarque Michel Galy qui note que le pays « plonge dans l’inconnu ». « Les Sénégalais ont l’élection présidentielle chevillée au corps, ils refusent de se faire usurper leur scrutin », analyse Caroline Roussy, notant au passage que les manifestations ne « font que commencer ».

« Ça peut donner des idées à certains »

La rue pourrait plonger le pays entier dans la violence alors, pour le moment, « l’intensité des rassemblements reste relativement faible », note Michel Galy. D’autant que si l’Assemblée nationale planche sur un report de six mois, « tant qu’il n’y a pas de date arrêtée, en réalité c’est une annulation pure et simple », selon Caroline Roussy. Et même si les six mois de délais étaient respectés, ça amènerait le scrutin à se dérouler en pleine saison des pluies, où les précipitations diluviennes isolent de nombreux Sénégalais.

La Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) mais aussi la France, l’Union européenne ou encore les Etats-Unis ont exprimé leur inquiétude. « Je pense que le plus gros risque est un scénario à la malienne où, après des élections contestées et des manifestations d’ampleur, l’armée a pris le pouvoir et ne veut plus le lâcher depuis », décrypte Michel Galy qui ajoute : « Quand on ne respecte pas la légalité constitutionnelle, ça peut donner des idées à certains. » « L’armée sénégalaise est réputée pour être républicaine mais on ne peut plus exclure un coup d’Etat militaire, tous les scenarii sont envisageables », abonde Caroline Roussy.

Un jeu dangereux

En repoussant le scrutin, Macky Sall espérait manifestement faire gagner du temps à son parti. Le chef d’Etat, au pouvoir depuis 2012, a désigné son Premier ministre Amadou Ba comme candidat au pouvoir mais ce dernier n’est jamais parvenu à faire consensus, même dans son propre camp. « Il a du mal à s’imposer dans l’arène politique, malgré le soutien de Macky Sall », confirme Caroline Roussy. Les sondages prophétisaient donc un second tour où le poulain du parti présidentiel risquait fort de perdre face à Bassirou Diomaye Faye, désigné par l’opposant Ousmane Sonko pour le remplacer.

« Il est possible que Macky Sall se représente finalement ou qu’il manœuvre afin de favoriser son dauphin, dans l’espoir que son camp subsiste au pouvoir, même s’il ne l’est plus lui-même », analyse Michel Galy. Quel que soit son objectif, le président sénégalais joue à un jeu dangereux et l’horloge tourne. Le 2 avril, il violera la Constitution s’il est toujours au pouvoir et le pays « sera alors ingérable », prévient Caroline Roussy.


Sambou Biagui




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